En affichant une progression économique soutenue depuis son arrivée au pouvoir, le président ivoirien, Alassane Ouattara et  son parti, le RHDP ont fait de la croissance et de la stabilité leurs arguments phares. Pourtant, derrière la hausse de l’IDH et les grandes infrastructures mises en avant, des inégalités profondes persistent.
La récente hausse du SMIG de 60 000 à 75 000 FCFA, qui est une avancée notable dans le pays est loin de compenser la flambée du coût de la vie dans les villes ivoiriennes. À Abidjan, les loyers ont explosé avec une hausse de 20 % en moyenne ces cinq dernières années.
Les denrées alimentaires de base ont vu leurs prix bondir de 30 %, tandis que les coûts de transport ne cessent de grimper. Résultat : pour la majorité des Ivoiriens, la hausse du SMIG se révèle symbolique, absorbée dans les dépenses essentielles, sans impact significatif sur le pouvoir d’achat réel.
Inégalités et monopoles économiques : une distribution inégale des richesses
Les chiffres de la Banque mondiale montrent que malgré une croissance économique régulière, les les plus riches, 20%  captent plus de 40 % des revenus nationaux, tandis que les 40 % les plus pauvres en perçoivent à peine 10 %. Cette asymétrie s’accentue en zone rurale, où les infrastructures et services essentiels restent insufisants.
Par ailleurs, le dernier rapport de l’Observatoire économique d’Abidjan révèle que plus de 60 % des terres agricoles sont aux mains de moins de 10 % de la population, accentuant les inégalités structurelles qui pèsent lourdement dans le calcul de l’IDH.
Corruption et privilèges : la « boîte de Pandore » que personne ne veut ouvrir
La corruption devient ici un facteur détonant, et les mesures disciplinaires et mécanismes mis en place par l’Etat peinent à la résorber.  Selon Transparency International, le pays figure parmi les nations d’Afrique de l’Ouest où la perception de la corruption est la plus forte, avec un score de 36 sur 100.
Les fonds publics, censés servir à des projets de santé ou d’éducation pour les populations vulnérables, subissent des détournements récurrents, avec de nombreux rapports de la Cour des Comptes soulignant des irrégularités dans les projets d’infrastructure. Cette situation crée des distorsions économiques où les secteurs bénéficiaires des marchés publics se concentrent dans les mains d’une élite proche des cercles de pouvoir. Alors que l’IDH s’améliore sur le papier, il cache des disparités profondes dans la répartition des richesses. Les infrastructures, si elles contribuent à l’économie nationale, ne profitent qu’à une partie limitée de la population.
Lorsqu’une malversation est dévoilée, les responsables se voient rarement inquiétés. Un  licenciement vient clore l’affaire sans poursuites judiciaires ni récupération des fonds détournés. Une situation qui semble donnée aux yeux des Ivoiriens une prime à l’impunité.
Ce cycle de détournements sans véritables conséquences pour leurs auteurs engendre une frustration croissante chez les citoyens, qui voient leurs taxes alimenter des projets sans impact tangible sur leur qualité de vie.
Impact sur les élections : un enjeu que les politiques hésitent à aborder
Tidjiane Thiam, candidat déclaré du PDCI-RDA à la prochaine présidentielle a mis en avant le décalage entre la croissance économique et l’amélioration réelle des conditions de vie de la majorité des Ivoiriens. Dans ses récentes allocutions, l’ancien patron du Crédit Suisse  critique la politique du RHDP en la qualifiant de « développement inégal », où une grande partie de la population n’a pas profité des fruits de la croissance économique des dernières années.
Les points abordés par le président du PDCI trouvent un écho dans le rapport 2024 de Moody’s, qui, tout en saluant la résilience économique du pays, souligne également les risques liés aux inégalités persistantes.
Les partis politiques, en particulier le PPA-CI, le FPI et le PDCI, pourraient exploiter ce sujet en soulignant les failles de la gouvernance actuelle, mais ont tout intérêt à éviter le sujet de la corruption et des monopoles, car il s’agit de dynamiques ancrées dans le système ivoirien. Toucher à cette « boîte de Pandore » pourrait exposer des pratiques impliquant des acteurs des deux camps, rendant la discussion délicate.
Rapport de Moody’s 2024 : un avertissement sur la stabilité sociale
Le rapport Moody’s 2024 est clair : malgré une solide performance économique, la Côte d’Ivoire court un risque majeur si les inégalités persistent. Les jeunes, qui représentent près de 60 % de la population, se retrouvent sans emploi stable et voient leur avenir compromis. Moody’s prévient que sans un programme de redistribution des richesses et une politique de gouvernance plus rigoureuse, la stabilité sociale pourrait se dégrader, menaçant l’ensemble des gains économiques du pays.
En posant la question des inégalités par le prisme de l’IDH, l’opposition ouvre donc un débat sensible mais essentiel, qui pourrait bien pousser les partis politiques à se positionner. Ce débat leur permettrait soit de proposer des réformes de fond en matière de transparence, soit de chercher des solutions superficielles qui risquent d’être perçues comme des promesses électorales sans engagement véritable.
L’IDH ne cesse de monter, mais le quotidien de nombreux Ivoiriens raconte une tout autre histoire : celle d’une classe moyenne étouffée, d’une jeunesse désabusée, et d’un pouvoir d’achat en chute libre. Que fera chaque candidat pour résoudre ces problèmes profonds ? Au-delà des promesses électorales, c’est cette question de fond que les citoyens attendent de voir abordée.